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Voie Couzy-Demaison en Face Nord de l’Olan

Dimanche 28 juillet 2019, 3h30 : Le Désert en Valjouffrey, Haute vallée de la Bonne

« – Hey, psssst, lève-toi, faut y aller ! » me souffle mon pote Max en essayant de ne pas réveiller les autres personnes du dortoir. Tu parles, j’ai peu fermé l’œil de la nuit et je suis paré à décoller en moins de 10 secondes. Toutes les affaires sont prêtes, je lace mes chaussures, avale un biscuit et je suis la silhouette de mon compagnon dans cette nuit claire et prometteuse.

La veille, nous avons passé une belle soirée en compagnie d’un groupe de viticulteurs du plateau du Trièves venu faire une dégustation au refuge de Font Turbat. Malgré l’animation de la soirée, la gardienne a pris le temps de nous briefer sur notre objectif du week-end : la face Nord de l’Olan par la voie Couzy-Desmaison. Sur les cinq cordées qui ont tentées l’ascension cette année, quatre ont reculées et une seule est parvenue au sommet… à 4 heures du matin le jour suivant. Message reçu, l’enjeu est de taille et la grimpe sera loin d’être évidente. Pour nous préparer à cette journée, nous avons enchaîné un certain nombre de grandes voies ces dernières semaines. Des aiguilles de Chamonix au Dévoluy, en passant par les Aravis, nous avons construit une solide relation de cordée sur des itinéraires historiques ouverts par de grands noms tels Rébuffat, Livanos ou Chapoutot. Mais cette fois, la barre est placée un cran au-dessus de nos précédentes ascensions. La face Nord de l’Olan, est plus longue, plus haute, plus froide et plus austère. C’est du sérieux, il va falloir grimper fort, vite, et sans se perdre. La ligne a été ouverte en 1956 par Jean Couzy et René Desmaison en trois jours. Elle a ensuite été répétée une dizaine de fois la décennie suivante et la première ascension en escalade libre date de 1991 par les frères Ravanat. De façon générale l’Olan est un sommet emblématique des Alpes car il a été le théâtre de drames célèbres comme en 1949 avec le sauvetage à dos d’homme de l’alpiniste Emile Voltram, épisode marquant dans la mise en place des organisations modernes de secours en montagne.

Une nuit estivale enveloppe le Refuge de Font Turbat, et les centaines de brebis qui pâturent dans le fond de la vallée dorment tranquillement. Tout est silencieux, il n’y a pas un souffle de vent. Soudain, je réalise que je n’ai pas mon téléphone portable sur moi ! Je fais demi-tour au pas de course en m’accablant d’injures intérieurement et retourne fouiller sur la couchette de mon dortoir au risque de réveiller nos comparses de nuitée. Heureusement, je tombe aussitôt sur le précieux objet. Merci Max pour n’avoir fait aucune remarque sur cette étourderie qui nous coûte 15 minutes d’entrée de jeu. Nous sommes à 2400 mètres environ mais les températures sont très douces et nous ôtons notre veste rapidement. L’ombre lunaire de l’Olan nous engloutit alors que nous remontons le névé à son pied, la montagne semble nous accueillir tout en nous écrasant d’une présence scrutatrice.

Max prend les devants et attaque le long socle qui louvoie entre des systèmes de vires pour nous amener au pied des difficultés. De nuit, à la frontale, la progression se fait sans encordement car la grimpe est facile. Mais il est aisé de s’égarer et nous nous retrouvons à plusieurs reprises à escalader ou désescalader des sections délicates afin de retrouver l’itinéraire correct. Aussi agile qu’un chamois, mon compagnon fonce en tête et repère le meilleur itinéraire. De mon côté, je suis plus lent, peu rassuré par le rocher de qualité médiocre sur lequel il faut vraiment assurer ses appuis. C’est simple, sur certaines sections la chute est interdite. Si nous croisons de temps à autres des traces de passage, il est difficile de dire si nous suivons la voie la plus simple. Mentalement, cela créé un cocktail éprouvant pour cette approche. Je m’économise au mieux afin de garder des ressources pour le reste de la journée. Finalement, les premières lueurs du jour nous rattrapent et rendent moins aléatoire notre cheminement.

500m de murs complètement verticaux nous surplombent

Au bout de 3h30 d’efforts, et 600 mètres de grapillé dans la face Nord-Ouest, nous atteignons une belle vire. Au-dessus de nous, un mur de 500 mètres pointe vers le ciel, d’une raideur sans équivalent dans le massif des Ecrins. Quelle présomption de s’attaquer à un tel morceau, j’en ai des frissons d’excitation. Mais je suis ravi que nous ayons atteint la fin du socle sans encombre et sans avoir explosé l’horaire. Maintenant, nous allons attaquer le début de l’escalade physique et technique avec des longueurs à tirer. Il va falloir s’écorcher les doigts et trouver en nous la gestuelle efficace pour franchir chacune des difficultés. Mais au moins, nous serons encordés sur le rocher, lié à la montagne par nos cordes, nos coinceurs et nos sangles, et non plus dans cette forme de solo nocturne sans fin que représentait cette première partie.

Nous décidons de faire une petite pause à ce moment-là. Max s’accroupit entre deux rochers, le pantalon descendu sur les chevilles, et applique une technique classique de grimpeur qui consiste à libérer stratégiquement du poids superflu avant les difficultés, tout en profitant d’un panorama de carte postale. C’est alors qu’une pierre grosse comme un poing dévale la falaise et vient éclater sur la vire à 2 mètres de lui. 

« Ouch, ça craint ici, me lance-t-il en remontant son pantalon, on bouge ! »

Rappel à l’ordre, l’Olan nous envoie un message clair : pas de répit, il faut foncer. « Notre sécurité est notre concentration » comme dirait Patrick Berhault dont je viens de finir la belle biographie rédigée par Michel Bricola et Dominique Potard.

Nous trouvons facilement le relais de départ et les quatre premières longueurs s’enchaînent sans problème. Nous remontons une sorte de rampe en ascendance droite dont le rocher fragile ne permet pas toujours de placer de bonnes protections. Mais la difficulté est modérée et ces longueurs sont idéales pour s’adapter au gneiss de l’Olan et s’immerger dans la mécanique de grimpe. Dans l’ombre grandiose de la montagne, le refuge de Font Turbat semble maintenant très lointain. Même si nous savons que la gardienne suit notre progression à la jumelle, nous sommes seuls dans la face, véritablement ailleurs, en lévitation dans un autre univers. Mais c’est sans compter les bouquetins des Ecrins qui viennent nous tenir compagnie jusqu’au relais de la 4ème longueur. Incroyable, comment se déplacent ces quadripèdes à sabot dans une telle verticalité ? Ils font tomber beaucoup de pierre et régulièrement nous entendons le fracas de rochers qui dévalent la face et rebondissent dans le grand goulet en dessous de nous. 

Notre bienfaitrice gardienne de refuge nous avait prévenu la veille : 

« Attention, beaucoup de cordées se perdent à cet endroit-là, il ne faut pas tirer trop à droite sur les premières longueurs. »

Attiré par un bloc qui semble idéal pour un relais, Max s’engage quelques dizaines de mètres de trop sur la rampe et nous sortons de l’itinéraire historique de Couzy et Desmaison. Nous ne réalisons pas cela immédiatement, mais le doute qui apparaît lors des longueurs suivantes se précise de plus en plus. Plutôt que de faire demi-tour et perdre un temps précieux, nous faisons confiance aux quelques sangles et pitons qui nous indiquent que nous ne sommes pas les premiers à s’égarer sur cette partie de la face. Alors nous continuons à grimper en tirant le plus à gauche possible afin de rattraper le grand dièdre large repéré depuis les pâturages de la vallée. Plongés dans les structures sculptées et les ressauts rocheux, nous ne voyons que très difficilement la suite de l’itinéraire. Où est ce fichu caillou blanc qui doit marquer la fin du dièdre et le début de la première longueur clé de la voie ? Ce genre questionnement est propre à ce type de voies et l’optimisme de notre cordée ne faiblit pas. Tant qu’il y a des emplacements pour nos coinceurs nous pouvons avancer et trouver la voie qui nous ramènera sur l’itinéraire historique. 

Depuis le début des difficultés, Max a effectué toutes les longueurs en tête. Nous procédons ainsi pour éviter d’avoir à échanger trop de matériel à chaque relais, faire des pauses plus régulières et rentrer dans une dynamique de grimpe en tête, tandis que l’autre se laisse aller en second. Et finalement, Max nous amène sur le bloc blanc, au pied d’une série de toits noirs et humides perclus de pitons dont certains semblent très anciens. Enfin, nous sommes de retour sur la Couzy-Desmaison.

Certaines longueurs en 6c/7a sont difficiles à grimper avec ces gros sacs !

A mon tour de prendre les devants. Je me lance dans cette première longueur-clé avec la ferme intention de l’enchaîner en libre, c’est-à-dire sans tirer sur des pitons ou des coinceurs. Mais dès que j’arrive sous le toit, je déchante aussitôt, les prises sont humides, il y a des pitons dans tous les sens dont une bonne partie date certainement de la première ascension tant ils sont rouillés. De plus, à cet endroit la paroi est surplombante, je suis tiré dans le vide par mon sac à dos et mon baudrier chargé de coinceur. La sensation du vide est totale, lorsque je pose mon chausson sur une prise c’est le pied de l’Olan que j’entrevois, 800 mètres plus bas. C’est exaltant mais cela épuise aussi ma force mentale. Je me crispe plus que nécessaire sur les prises, mes avant-bras se gonflent et je perds mon rythme initial. Vite, un piton moins mauvais que les autres et je me vache dessus pour réfléchir à la situation. Visiblement, ça ne passe pas tout droit dans le toit. Je me tords le coup et j’aperçois quelques pitons qui contournent l’obstacle par la gauche. Cela m’a l’air plus facile de se côté-là, d’autant plus que le rocher a l’air sec. Alors je traverse légèrement et progresse en escalade artificielle pour passer le surplomb par la gauche. Dans le rétablissement, je place un coinceur, tire dessus et me redresse, m’extirpant un bref instant de cette implacable gravité. En tête, le rocher me semble encore plus fragile qu’en second alors je teste précautionneusement mes prises. Ce becquet sur la gauche me semble parfait, mais à peine je l’empoigne avant même de mettre du poids dessus, je le détache de la paroi, entraînant un bloc énorme qui me tombe sur le pouce, m’ouvrant une partie du doigt. Une pluie de gros blocs va alors s’écraser 500 mètres en contrebas dans le couloir dans un bruit de tonnerre. 

Un peu secoué, je bats en retraite vers mon coinceur. J’entends Max qui me lance des encouragements : 

« Allez mon gars, faut se sortir de là ! »

Je me ressaisi et enchaîne les 10 mètres restants jusqu’à un relais médiocre sur deux pitons pendus en plein vide. Je renforce du mieux possible ce relais à l’aide d’une sangle et d’un coinceur mais les emplacements à proximité n’invitent guère à la confiance. Je n’ai rien de mieux, il faudra bien que ça tienne :

« Relais vaché ! Max, à toi de jouer ! »

En second, reposé et allégé des coinceurs, Max s’élance et enchaîne toute la longueur en libre, se faisant plaisir dans cette escalade extrême, comme s’il grimpait sur une falaise sportive à côté de la maison. Sa solidité mentale lui permet de grimper dans son niveau maximum quel que soit le terrain ou l’engagement. Je suis impressionné, et je me sens chanceux de l’avoir pour compagnon de cordée.

Je décide de laisser tomber cette curieuse idée que j’ai eu de vouloir grimper toutes les longueurs en libre et je franchis en artificiel une seconde longueur-clé, dans un niveau légèrement inférieur à la première. Puis je continue sur les trois longueurs suivantes, plus faciles que les précédentes. Nous voilà maintenant au pied de la grande cheminée sommitale. Plus que 150 ou 200 mètres et c’est le sommet. Depuis le début de la journée nous n’avons pas fait la moindre pause. Nous profitons des relais pour boire une gorgée ou manger un morceau tout en assurant, mais ne traînons pas lorsque nous nous croisons, concentrés et focalisés sur l’escalade et notre progression dans la face. 

Aux relais, la corde pendouille en plein vide

Je passe le relais à Max qui se lance alors dans la dernière grosse difficulté. Une fissure sinueuse de 10 mètres de long dans un bon rocher. Max tente tout d’abord de passer par la gauche, mais la fissure s’avère trop large pour placer des coinceurs. Il lui aurait fallu des Camalots de taille 4 et 5 pour protéger ce passage. Alors il se rabat sur la fissure-dièdre de droite, plus fine mais très technique. Après moultes grognements et quelques pas en artificiel, cette ultime difficulté est franchie. L’approche du sommet me donne des ailes et je me fais plaisir en l’enchaînant en libre.

Après quelques longueurs faciles que nous effectuons en corde tendue, nous parvenons enfin au sommet de l’Olan. Quel bonheur, je n’en reviens pas ! Nous tombons dans les bras l’un de l’autre, se congratulant mutuellement pour cette ascension fabuleuse. Il est alors 17h de l’après-midi, environ 10h après s’être encordé, et 13h30 après notre réveil. Nous sommes à 3564 mètres d’altitude mais le temps est très clément et nous profitons pendant une demi-heure du panorama qui s’offre à nous. Réputé pour ses orages violents en fin de journée, nous sommes chanceux de profiter de ce moment dans de telles conditions ! L’emplacement de l’Olan en lisière ouest des Ecrins nous permet d’embrasser tous les sommets du massif ainsi que les montagnes du Vercors et du Devoluy en regardant vers le couchant.

La team au sommet

En contrebas de l’arête sommitale, je ne peux m’empêcher de jeter un œil sur l’exit de Base-Jump. Ouvert par Nicolas Joubert en 2008, c’est un saut magnifique qui peut se faire en simple combinaison de track. C’est dire à quel point la face est raide et verticale. Néanmoins, l’aspect haute-montagne de ce saut n’est pas à négliger et je n’ai pas le niveau pour le faire cette saison. Voilà qui pourrait représenter un bel objectif dans quelques années…

Mais le temps n’est pas propice à la rêverie, les topos sont unanimes : la descente de ce sommet est longue et difficile. Pour revenir à notre point de départ, le seul itinéraire possible est l’arête Nord, en désescalade. Pendant 3 longues heures, nous louvoyons sur le fil de cette longue arête, désescaladant des sections parfois délicates où nous retrouvons la tension des premiers 600 mètres. Malgré la fatigue de la journée, il nous faut rester concentrés sans faillir. Si cet itinéraire est le plus fréquenté pour accéder au sommet de l’Olan, nous perdons les traces de passage et improvisons deux rappels de 30 mètres pour rejoindre l’itinéraire de descente. Alors que nous pensons être tiré d’affaire, nous nous retrouvons à nouveau à effectuer des traversées hasardeuses pour rejoindre un couloir de neige très raide que nous dévalons sur les fesses tant bien que mal. Les Ecrins et cette vallée reculée sont décidément un lieu ou la montagne est sauvage dans laquelle une descente par une voie normale n’est pas chose aisée.

La superbe arête de descente

Enfin nous arrivons au lac des Pissoux, plus que 400 mètres de dénivelé négatif par un sentier facile et balisé. Le point de vue sur la face Nord-Ouest de l’Olan est sublime. Sous les lueurs du soleil couchant, toute l’austérité de ce rocher sombre semble s’être évanouie. 

Et c’est à 21h que nous arrivons sur la terrasse du refuge de Font-Turbat. Nous ne manquons pas de remercier chaleureusement la gardienne pour ses précieux conseils. Nous aurions aimé rester plus longtemps dans cette belle vallée, mais nous ne pouvons pas nous attarder car je dois retourner travailler le jour suivant. Malgré la fatigue de cette ascension qui aura durée 18 heures, nous descendons les 10 kilomètres et 1000 mètres de dénivelé négatif pour rejoindre la voiture garée à Valjouffrey. Puis, s’ensuit une lutte contre le sommeil pendant les 2h30 de route jusqu’à Chambéry. Le lendemain, après 3 heures de sommeil, réveil à 8h, pour attaquer le boulot. Physiquement, je suis présent pour donner le peu de force qu’il me reste au capital mais mentalement mon esprit est resté là-haut, quelque part sur le formidable océan minéral de l’Olan.

Caroline Minvielle

MONITRICE D’ESCALADE ET DE CANYONING (DE)


Grimpeuse passionnée, j’ai officiellement commencé l’escalade à l’âge de 6 ans. L’extérieur et le minéral correspondent à mes aspirations ultimes. Le terrain de jeu y est infini et le rocher a toujours de nouvelles subtilités à soumettre et énigmes à décoder. Je pratique l’escalade en extérieur sous toutes ses formes à un niveau soutenu : du bloc à la grande voie en terrain d’aventure.

Côté canyon, mon père, Pierre Minvielle, m’y a initié très jeune autour de Rodellar, lieu de ses plus belles explorations. Il m’a donné le goût de l’aventure et de la découverte et surtout transmis son amour pour la Sierra de Guara.

Ingénieur de formation, j’ai décidé de m’aventurer dans le monde de l’enseignement et de la transmission de connaissances en devenant monitrice d’escalade et canyon afin de pouvoir partager cette passion qui m’anime et aider ceux qui le souhaitent à atteindre leurs rêves.

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Maxime Poirier

MONITEUR D’ESCALADE ET DE CANYONING (DE)


J’ai grandi loin des montagnes, sur une île au milieu du Pacifique et si mes premières ascensions étaient celles de cocotiers, je suis devenu passionné par l’escalade lors de mon retour en métropole. Touche à tout, globe-trotter et passionné par les activités outdoors sur tous les éléments, je suis devenu adepte de sports à sensations comme la highline, le base-jump et le canyoning.

Pour moi la montagne et ces activités nous restituent cette capacité d’admiration et d’émerveillement que peut si facilement évacuer l’existence moderne. Vivre pleinement le bonheur de l’instant, le renoncement à vivre pour demain parce qu’aujourd’hui suffit.

Ma rencontre avec Caro aura finalement scellé mon destin, me voici grimpeur, amoureux du Vercors et de la Sierra de Guara, prêt à partager ma passion avec ceux qui le souhaitent.

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