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Voie Vinatzer-Messner à la Marmolada

Obsession Minérale - Escalade et canyoning à Rodellar et en Royans-Vercors

Les portes de la C3 sont grandes ouvertes et nos affaires s’entassent joyeusement sur le parking du petit village de Malga Ciapela, au pied de la Reine des Dolomites, la Marmolada.

C’est le début de notre roadtrip italien, l’organisation se met lentement en place et pour le moment, à chaque fois que nous avons besoin d’un mousqueton, il nous faut sortir trois sacs pour l’obtenir. Nous désignons une porte par domaine d’activité : la gauche pour le bivouac et les vêtements, la droite pour la nourriture et enfin, le coffre pour le matériel d’escalade et de vol libre. 

Pour cette première ascension du voyage nous préparons minutieusement nos affaires. Chacun prend son équipement personnel d’escalade et de bivouac et nous nous répartissons le reste du matériel commun ainsi que nos provisions d’eau et de nourriture pour deux jours. Le tout parvient plus ou moins à tenir dans un sac léger de 40 litres, et nous nous lançons sur la marche d’approche, en direction du rifugio Falier. Le sentier est agréable,  autour de nous la forêt s’accroche sur les pentes abruptes d’un canyon encaissé. Beaucoup d’arbres, principalement des résineux, sont couchés par pans entiers, laissant à penser qu’une terrible tempête a balayé la région il y a peut-être deux ou trois ans.

Nous prenons pied sur un vaste plateau composé de prairies verdoyantes striées par un cours d’eau qui invite à la quiétude. Et alors, levant les yeux au-dessus de la cime des arbres, la grandiose muraille sud de la Marmolada se dévoile enfin à nous. Longue de plusieurs kilomètres, et haute de 1000 mètres environ elle est époustouflante, mais ne semble pas aussi raide que sa réputation pourrait le laisser penser. Nous nous apercevons très vite qu’il s’agit là d’un problème de perspective, ou d’un étrange effet de contre-plongée. Notre esprit ne parvient pas encore à se représenter l’entièreté massive de ces murs, la taille des parois étant sans commune mesure avec tout ce que nous avons rencontré auparavant. Toutefois, cela a pour effet bénéfique de nous mettre en confiance quant à nos projets d’ascensions à venir. 

Nous souhaitons nous confronter à la voie Vinatzer de 1936 en empruntant la variante de sortie ouverte par Reinhold Messner en 1969. Le célèbre alpiniste avait marqué les esprits à l’époque car il avait ouvert cette ligne directe en solitaire, peaufinant avec classe l’oeuvre de son illustre prédécesseur sur cette  face.

Giovanni Battista Vinatzer est un grimpeur peu connu dans les Alpes françaises. Pourtant, comme nombre de ses compatriotes italiens, il était un précurseur pour la pureté des lignes qu’il trouvait sur des faces vierges, et qu’il grimpait dans un style proche de l’escalade libre moderne. Demain, 900 mètres de verticalité nous attendent, plutôt homogènes autour du 6a/6b, pour sortir sur la Punta Rocca à 3309 mètres d’altitude.

Derrière nous le soleil commence à se coucher et une trouée dans le ciel encombré nous laisse apercevoir une monstrueuse face rocheuse qui semble flotter au-dessus des nuages.

« C’est la face Nord de la Civetta ! »

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Monstrueusement belle, la face Nord de la Civetta

Cette incroyable montagne dont les pointes effilées dépassent les 3000 mètres d’altitude est également sur notre liste, mais l’engagement et sa réputation de face Nord en fait un défi autrement plus délicat et incertain. Nous sommes relativement tard dans la saison, et il n’est vraisemblablement pas sûr qu’un tel projet soit réalisable cette année, à moins d’une bonne fenêtre météo peut-être…

Nous trouvons un excellent emplacement de bivouac au-dessus du rifugio Falier et prenons le temps d’installer notre couverture de survie sur un espace bien plat protégé de l’humidité par un gros bloc en équilibre. Nous faisons des étirements et du yoga face au beau vallon parcouru un peu plus tôt. Comme d’habitude avec Max, les plaisanteries vont bon train, l’ambiance, comme la météo, est au beau fixe. Après un rapide dîner, une fraîcheur tout juste supportable nous enveloppe et nous nous enfonçons avec satisfaction dans nos duvets respectifs. Un peu de nervosité m’empêche de m’endormir immédiatement. Je me remémore cette nuit, quelques années auparavant, alors que je finissais le livre de Tita Piaz, Le Diable des Dolomites, j’étais hanté par les images de ces tours et ces murailles de calcaires légendaires et je ne parvenais pas à fermer l’oeil. J’ai dû arpenter le web à la recherche d’un topo sur les Dolomites, que j’ai immédiatement commandé pour trouver enfin le repos. Il y a quelques mois encore je ne me sentais pas capable de les affronter. Je n’avais ni le niveau ni l’expérience en escalade traditionnelle nécessaires pour songer à une confrontation à ces kilomètres verticaux. Puis, il y a eu la rencontre avec Max et notre été d’escalades intensives dans les massifs alpins qui sont venus changer la donne.

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Joli emplacement de bivouac

Le lendemain, nous nous réveillons à cinq heures du matin avec le titre I wish you were here repris par Alpha Blondy, morceau de musique qui deviendra une sorte d’hymne pendant tout le reste de notre voyage. Au lieu d’une demi-heure d’après nos estimations trop optimistes, il nous faudra presque une heure depuis notre bivouac pour rejoindre le départ de la voie repérée avec attention la veille. S’agit-il encore d’une approximation due à l’immensité de ces montagnes ?

L’escalade débute alors vers 6h30 au premières lueurs du jour. Max se lance en tête et enchaîne les 6 premières longueurs de difficulté modérée avec propreté et efficacité.  La grimpe est fluide mais difficilement protégeable, le rocher irrégulier offre peu de placements propres tant pour nos coinceurs mécaniques que passifs. Alors nous engageons un peu plus que de coutume, en prenant parfois plus de risques. Cela ne nous plaît guère, alors nous plantons des pitons, ce qui est une première pour nous deux. Et nous comprenons mieux pourquoi il est rassurant sur ce type de parois d’avoir un marteau et ce type d’équipements. Souvent les relais sont composés de vieux pitons et il faut les renforcer, soit en tapant sur les pitons en place, soit en plaçant un autre point à côté en renfort. C’est également la première fois que je grimpe une grande voie aussi longue avec un sac aussi lourd comprenant mon matériel de bivouac. Beaucoup de premières pour cette sortie, il faut se concentrer, rentrer dedans, s’immerger dans la minéralité, se dédier à 100% dans le moment, en osmose avec le rocher et mon compagnon de cordée. Toutes les pensées sont alors tournées vers l’ascension, et si l’esprit divague parfois lors des moments de repos pendant que l’autre grimpe, c’est pour mieux se concentrer lorsqu’il faut reprendre prise et lire la partition gestuelle qui se dessine au-dessus de nous.

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Je prends la suite dans une série de longueurs un peu plus exigeantes qui remontent un dièdre technique. Il fera monter en nous un profond respect pour Vinatzer qui est passé par là en 1936 avec un équipement autrement plus rudimentaire que le nôtre. Georges Livanos a ressenti la même admiration lors de la 3ème répétition de cette voie en 1952. Voici comment il décrit cette section dans le récit de son ascension, extrait de son ouvrage Au delà de la verticale  :

Au-dessus, un redressement de la pente coïncide avec la déplorable disparition des prises […]. La pauvreté d’imagination des sculpteurs qui ont décoré cette dalle fait peine à constater. […] Une escalade hélicoïdale autour d’une arête me fait retrouver le vide dolomitique. Entre mes pieds, je distingue le sentier parcouru ce matin ! […] Décidément ce M.Vinatzer avait quelques connaissances de l’escalade !”

À la mi-journée nous atteignons la grande vire intermédiaire sur laquelle nous nous accordons la première pause en commun. Cette large plateforme sur laquelle un bivouac doit être des plus confortable, protégé de la pluie et des chutes de pierres éventuelles marque la fin de la voie Vinatzer et le début de la variante Messner. 

Petites fourmis à l’assaut d’un géant, les heures passent et nous continuons implacablement notre ascension. Les pitons se font plus rares sur cette deuxième partie et nous craignons parfois d’être égarés. Il nous arrive régulièrement de faire de grandes longueurs de 60 mètres et de créer notre propre relais car nous ne trouvons pas celui indiqué sur notre topo. Cela importe peu tant que nous avons suffisamment confiance dans nos points d’assurages et que le rythme de l’ascension n’est pas interrompu par des recherches improductives. Lorsque nous hésitons sur l’itinéraire à suivre, nous préférons faire un relais, réfléchir le temps que notre second nous rejoigne tout en inspectant le topo. Bien souvent la meilleure solution s’impose à nous, et si ce n’est pas le cas, nous décidons alors à deux de la meilleure direction à suivre. Et tout repart sans perte de temps. Vu la longueur de l’ascension, la vitesse de progression est essentielle, garantissant notre sécurité pour la descente à venir qui doit se faire idéalement de jour et par temps dégagé. Malheureusement, nous n’aurons droit, ni à l’un, et ni à l’autre !

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Petite fourmi à l’assaut d’un géant

Deux longueurs avant le sommet, d’épais nuages viennent coiffer la Reine des Dolomites et c’est dans un brouillard épais que nous sortons au sommet de la Punta Rocca après 12h30 d’escalade. Il est alors 19h, ce qui est un horaire plutôt honorable pour une première dans le massif italien ! Comme deux naufragés rejoignant la terre ferme, nous sommes un peu sonnés , abrutis après tant de verticalité de nous retrouver de nouveau sur une surface horizontale. Nous ressentons une joie profonde, en procédant avec enthousiasme aux congratulations rituelles du sommet !

Mais il ne reste plus qu’une demi-heure de jour, et le plus grand glacier des Dolomites s’étale devant nous. La neige fraîche que nous foulons en rangeant le matériel et en grignotant quelques biscuits nous indique que les Dolomites n’ont pas échappées à la vague de froid et aux précipitations de début septembre. Nous n’avons ni crampons, ni piolet ni aucun équipement de sécurité pour progresser sur glacier. La seule carte en notre possession a été récupérée gratuitement à l’Office de tourisme et indique les randonnées de la région. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle est relativement imprécise quant à la meilleure façon de franchir le glacier pour rejoindre le passo Fedaia. Malgré les dernières lueurs du jour, le brouillard nous empêche d’avoir une vue globale qui nous indiquerait le cheminement à privilégier. De plus, les efforts déployés pendant la journée commencent à peser, autant d’un point de vue physique que mental.  Les voyants ne sont clairement pas tous au vert.

À la fatigue d’une nuit courte en bivouac et d’une ascension exigeante de 900 mètres, s’ajoute donc une descente de nuit et dans le brouillard à prendre au sérieux. Nous nous engageons sur le glacier, nous enfonçant parfois péniblement jusqu’aux genoux. Nous ne sommes pas encordés, car sans piolet ni crampon, la chute de l’un entraînerait inévitablement la chute de l’autre. Max souhaite descendre directement et je préfère quant à moi longer le haut du glacier vers l’Est, afin de trouver la cabine du Funivia Marmolada et éventuellement y bivouaquer pour la nuit afin de descendre le lendemain matin. La visibilité est toujours très mauvaise, mais le temps ne semble pas se dégrader. 

Les paroles de la chanson écoutée à notre réveil me reviennent en tête :

We’re just two lost souls
Swimming in a fish bowl

La neige molle réchauffée pendant la journée nous permet tout de même de bien progresser malgré l’obscurité brumeuse qui nous entoure. Retrouver la cabine du Funivia fut finalement un choix judicieux car nous trouvons là de nombreuses traces qui descendent du glacier vers la direction souhaitée. Nous nous laissons alors entraîner par la pente de neige et de glace. Nous poussons tout de même un soupir de soulagement lorsque nos chaussures retrouvent un sol rocheux, dépourvu de glace. Deux heures plus tard, nous voici au Passo Fedaia, et toute la tension de la journée retombe. Nous sommes sains et saufs, heureux d’avoir gravi la face sud de la Marmolada et d’être descendus du glacier sans frayeur malgré notre méconnaissance des lieux, notre absence d’équipements, la fatigue, le brouillard et la nuit. 

Néanmoins, nous sommes toujours à une bonne dizaine de kilomètres de notre voiture, et la route face à nous n’est pas des plus fréquentée. Nous envisageons de bivouaquer sur ce col quand soudain une voiture arrive, je me rue alors au bord de la chaussée en agitant les pouces et les bras. En plein milieu de la nuit, le conducteur a dû me prendre pour un fou, je le sens hésiter, ralentir, pour finalement s’arrêter ! Jubilation ! Il s’agit d’un couple de grimpeurs locaux à qui nous racontons enthousiasmés nos aventures de la journée et ils nous amènent directement à notre camp de base, sur le parking de Malga Ciapela. Quelle chance !

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La face nord de la Marmolada (photo prise la veille) et le dernier glacier des Dolomites traversé lors de notre marche retour.

Sur ce formidable coup de pouce du destin s’achève l’aventure de la Marmolada, qui pose les jalons ambitieux d’un voyage sur les cimes formidables des massifs transalpins.

Caroline Minvielle

MONITRICE D’ESCALADE ET DE CANYONING (DE)


Grimpeuse passionnée, j’ai officiellement commencé l’escalade à l’âge de 6 ans. L’extérieur et le minéral correspondent à mes aspirations ultimes. Le terrain de jeu y est infini et le rocher a toujours de nouvelles subtilités à soumettre et énigmes à décoder. Je pratique l’escalade en extérieur sous toutes ses formes à un niveau soutenu : du bloc à la grande voie en terrain d’aventure.

Côté canyon, mon père, Pierre Minvielle, m’y a initié très jeune autour de Rodellar, lieu de ses plus belles explorations. Il m’a donné le goût de l’aventure et de la découverte et surtout transmis son amour pour la Sierra de Guara.

Ingénieur de formation, j’ai décidé de m’aventurer dans le monde de l’enseignement et de la transmission de connaissances en devenant monitrice d’escalade et canyon afin de pouvoir partager cette passion qui m’anime et aider ceux qui le souhaitent à atteindre leurs rêves.

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Maxime Poirier

MONITEUR D’ESCALADE ET DE CANYONING (DE)


J’ai grandi loin des montagnes, sur une île au milieu du Pacifique et si mes premières ascensions étaient celles de cocotiers, je suis devenu passionné par l’escalade lors de mon retour en métropole. Touche à tout, globe-trotter et passionné par les activités outdoors sur tous les éléments, je suis devenu adepte de sports à sensations comme la highline, le base-jump et le canyoning.

Pour moi la montagne et ces activités nous restituent cette capacité d’admiration et d’émerveillement que peut si facilement évacuer l’existence moderne. Vivre pleinement le bonheur de l’instant, le renoncement à vivre pour demain parce qu’aujourd’hui suffit.

Ma rencontre avec Caro aura finalement scellé mon destin, me voici grimpeur, amoureux du Vercors et de la Sierra de Guara, prêt à partager ma passion avec ceux qui le souhaitent.

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